crane bougies superstitions théâtre

« La superstition est le réservoir de toutes les vérités » nous affirmait Charles Baudelaire tout en se sifflant sa trentième goutte d’opium de la journée, passant sa pipe à un Jean Cocteau tout aussi défoncé lui répondant « la superstition est l’art de se mettre en règle avec les coïncidences ».

Les deux sont auteurs de pièces de théâtre, et qui sait, peut-être viennent-ils hanter nos plateaux à l’heure où les lumières s’éteignent, où la scène obscure et vide accueille toutes les représentations de l’histoire, avant d’être de nouveau interrompus au petit matin à l’allumage des services.

 

 

LA MERDE ET LE THÉÂTRE

Certainement la tradition théâtrale la plus reconnue, on ne souhaite jamais « bonne chance » ou « bon courage », mais au contraire, on balance un bon gros sympathique « MERDE ».

Cette coutume remonte dès le 19ème siècle où l’on se déplaçait majoritairement en calèches. Attachés devant le théâtre, les chevaux faisaient leurs besoins sur le parvis. Plus il y avait de crottin et plus cela signifiait un monde important à l’intérieur, gage de succès de la pièce.

calèche transport paris

Alors pour souhaiter la réussite aux comédien.nes, dîtes-leur « merde » avant la représentation ! L’usage est de répondre « Je prends ! » et non de dire « merci », là encore signe de mauvais augures. (Ndla : Après si comme moi, vous avez le réflexe de dire « merci » à tout bout de champ, ce n’est pas forcément très grave non plus).

 

Et chez nos voisins ?

Chaque pays ses particularités ! En Angleterre, on prononce « break a leg » (casse toi une jambe), en Allemagne « Hals und Beinbruch ! » pour « bris de cou et de jambe » ou « Toï, toï, toï ». En Italie, il convient de dire : « In bocca al lupo » (dans la gueule du loup), et le comédien répond « Crepi il lupo » (que le loup meure).

 

« CELLE DONT ON NE DOIT PAS PRONONCER LE NOM »

Au milieu du 18ème siècle, les besoins des théâtres s’élargissent. De nouvelles architectures, de nouvelles technologies et des mises en scène toujours plus spectaculaires requièrent alors un certain savoir-faire. C’est l’apparition d’un nouveau métier : les machinistes de théâtre.

Généralement d’anciens marins, ils sont responsables des décors, des changements, des accessoires etc. Mais tout comme le théâtre, le monde de la marine est bercé de traditions et l’usage du mot « corde » y est interdit.

Plus précisément, sur un navire toutes les cordes ont un nom et une fonction propre : bosse, amarre, écoute, drisse, etc. Aujourd’hui, une seule corde porte ce nom : celle de la cloche. Autrefois, le mot était aussi utilisé dans un autre sens : la corde était utilisée pour pendre les mutins.

Initialement réservé au monde de la navigation puis transmis au théâtre, le mot « corde » est donc interdit sur la scène du théâtre (voire même dans tout le bâtiment !). Il est remplacé par les termes « guinde », « fil » ou « bout ».

 

La petite anecdote :

Figurez-vous qu’il est également interdit de prononcer le mot « lapin » sur un bateau ! Prévus comme source de nourriture, ils pouvaient s’échapper et ronger les cordages en chanvre. Déstabilisé, le navire faisait naufrage. Mais à la différence du mot corde, cette superstition n’a pas trouvé sa voie jusqu’au théâtre.

 

LE THÉÂTRE SIFFLERA TROIS FOIS

Superstition un brin usée, il n’est pas avisé de siffler dans un théâtre. L’interdiction serait avant tout pratique : pour communiquer, les techniciens se sifflaient entre eux. Un sifflement sorti de son contexte, et hop c’est toute l’organisation technique qui déraille. Une autre explication viendrait des éclairages au gaz des salles de théâtre. Un sifflement pouvait alors indiquer une fuite et donc un risque d’explosion.

 

LA COULEUR INTERDITE

S’il s’agit du violet en Italie, du bleu en Angleterre, ou du jaune en Espagne, en France, c’est la couleur verte qui est réputée porter malheur ! Il en effet traditionnellement proscrit de porter un costume vert sur scène. Différentes raisons expliquent cette superstition :

  • Surtout pratique, la première serait liée aux dispositifs d’éclairage de scène du 19ème siècle qui ne mettaient pas en valeur la couleur verte. Toujours pour des questions de visibilité, le vert pouvait également se confondre avec la couleur des pelouses, terrains qui étaient souvent utilisés pour des représentations d’extérieur.
  • Seconde explication, le très célèbre Molière, patriarche du théâtre Français, serait mort sur scène en jouant Le Malade imaginaire et son costume aurait été de couleur verte. Seulement, cette légende est doublement fausse : Molière est mort après la représentation et son costume était de couleur rouge. Et même sur son lit de mort, sa tenue était de couleur pourpre et grise.
  • D’autant plus qu’à la Renaissance, aucune technique ne permet encore de fabriquer une teinture verte ! À la place, les tissus étaient peints d’un « vert-de-gris », couleur instable, débordant sur les autres, bavant sur la peau et composée entre autres, d’oxyde de cuivre, une substance toxique. On attribuait le décès des artistes à cet ingrédient.

 

LES EXPRESSIONS DES COMÉDIEN.ES

Faire un four : Se rater total, subir un échec, ou autrement « faire un bide ». Le four représente l’obscurité, comme celle écrasante d’une salle de théâtre vide de spectateur.trices.

Tenir l’affiche : Une pièce à succès peut être prolongée et par conséquent « rester à l’affiche » du théâtre plus longtemps que prévu.

Avoir un trou : Le trou figure le vide, la perte de mémoire. L’expression est utilisée par les comédien.es lorsqu’ils.elles ne se souviennent plus de leurs textes.

Enfant de la balle : Personne née de parents eux-mêmes comédien.nes.

Pêcher son texte à la ligne : À l’époque où les théâtres étaient généralement dotés d’un souffleur on disait qu’un acteur va « pêcher à la ligne » quand il s’approchait du trou du souffleur pour y pêcher son texte.

Faire sa mise : Vérifier sa mise pour un.e comédien.e c’est contrôler que tous ses accessoires (dans son costume, sur scène, en coulisse) sont bien à leur place.

 

Le saviez-vous ?

Si la générale, (la dernière répétition avant la première), est désastreuse, c’est un bon présage ! Une mauvaise répétition signifie que le spectacle sera un succès. L’inverse fonctionne aussi, une trop bonne générale et c’est toute l’énergie des acteurs.trices qui disparait pour la représentation !

 

LA PIÈCE MAUDITE

Funeste destin à ceux et celles qui oseraient jouer Macbeth sur scène ! Célèbre œuvre de Shakespeare, surnommée la « pièce écossaise », nous suivons l’histoire du général Macbeth qui pour accéder au pouvoir tue son propre roi. Poussé à l’acte avec la complicité de sa femme, Lady Macbeth (ou « Lady M » pour les intimes), ce régicide les entrainera tous deux vers la folie.

Sombre récit empreint de sorcellerie (trois sorcières sont présentes), d’évènements surnaturels (du sang sur les mains qui ne se nettoie pas), de fantômes, de meurtres et de trahisons (Macbeth tue son compagnon Banquo qui viendra le hanter par la suite), l’ensemble suffit pour discerner l’origine de cette légende, où aucune représentation n’a pu se jouer sans qu’un comédien ne soit mort ou gravement blessé !

De plus, plusieurs scènes de combats jalonnent l’intrigue, et les conditions de sécurité de l’époque n’étant franchement pas top, de nombreux accidents parfois mortels pouvaient advenir. Cette superstition remonterait dès la première représentation où Shakespeare aurait été contrait de remplacer l’interprète, décédé subitement, qui devait incarner Lady M.

 

TAPE MOI DANS L'(OEIL)LETS

Si offrir des fleurs aux comédiens.nes est une délicate attention, un cadeau plutôt facile et pas trop cher, soyez précautionneux, toutes les fleurs n’ont pas la même signification. Chérissez les roses, piétinez les œillets.

œillets et roses

Voilà, si comme moi vous ne saviez pas à quoi un œillet ressemble, c’est corrigé maintenant. (Et la plante est également toxique).

 

Au 19ème siècle, les comédiens sont employés sur des contrats courts et ponctuels. Les directeurs de théâtre pouvaient alors les renouveler ou non selon le succès de la pièce. Pour ce faire, ils envoyaient des fleurs : si le comédien recevait des roses, il continuait, s’il recevait des œillets, son contrat s’arrêtait. Mauvaise presse pour les œillets, moins chères mais moins glorieuses que ses voisines les roses ! Et dernière chose, remettez vos bouquets après la représentation : donner des fleurs avant un spectacle n’est pas bon présage.

 

GHOSTBUSTER DU LUNDI SOIR

Un théâtre. Il fait nuit. Vous êtes seul. Il fait noir. Vous êtes au plateau. Le vide. Le silence. L’angoisse. Une main vous touche l’épaule. Vous vous retournez. Bill Murray vous fait un grand sourire. Vous êtes en plein cauchemar.

bill murray dancing

L’auteur en roue libre sur ses sous-titres et introductions aujourd’hui.

 

Au théâtre, on croit aux fantômes ! Non ceux issus d’un film d’horreur, mais plutôt de la littérature. Lorsque les théâtres sont déserts et plongés dans l’obscurité, après les représentations ou les répétitions, c’est à eux d’entrer en scène pour jouer leur propre spectacle.

Les théâtres sont souvent fermés le lundi soir, jour où l’affluence des spectateurs est moindre. C’est le « jour de relâche », les acteurs et actrices se reposent, tandis que les fantômes profitent de leur absences pour se mettre en scène.

Avant de quitter le théâtre le régisseur pose au plateau une lampe sur pied, sorte de veilleuse, qui reste allumée toute la nuit. C’est la « sentinelle » (ou « ghost light » en anglais). Son rôle est double : éclairer les bords de scène pour éviter les accidents, et accueillir (voire éloigner) les esprits !

ghost light theatre

Une sentinelle posée sur scène.

Continuer à faire vivre ces superstitions c’est marquer son attachement à l’univers magique du théâtre et au respect de ses traditions. Mignonnes ou risibles, ces différentes croyances enrichissent nos histoires et notre culture commune. Enfin, si vous souhaitez subtilement nuire à un.e autre artiste, vous connaissez désormais la méthode : offrez-lui un bouquet d’œillets avant sa représentation tout en lui souhaitant une « bonne chance pour ton rôle de Macbeth ». 😈

 

Benjamin Profil édito BouletCorp

ÉCRIT PAR : Benjamin

Double parcours en communication et théâtre, je passe mon temps à étudier et à produire des contenus pour Parlons Théâtre. On peut se croiser à la bibliothèque, au théâtre, ou autour d’un verre.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N'hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *