La voix, avec le corps et l’imaginaire, est l’un des trois outils essentiels du comédien. Si durant une représentation, l’acteur mâche ses mots, bute sur ses phrases, ou ne porte pas correctement sa voix, le public se désengage de l’action, et moins investi dans l’histoire il perd sa concentration.
Mais si la voix est quelquefois capricieuse, sa maitrise reste essentielle et demande rigueur et régularité. Plusieurs axes de travail sont possibles dont principalement la respiration, la diction et le chant. Cet article se concentre sur des exercices et astuces pour améliorer sa prononciation, mais gardez en tête qu’un travail complet est requis avant de trouver sa voix (haha).
SE PRÉPARER PHYSIQUEMENT
Un défaut d’articulation est souvent physique. Les lèvres et la langue ne sont pas suffisamment sollicitées et en conséquence pas assez musclées. Il en résulte une bouche molle créant une « bouillie de mots ».
Pour régler ce problème, il faut commencer par visualiser son propre appareil phonateur. Articuler n’est pas qu’un geste d’ouverture et de fermeture de la bouche, et langue, lèvres et palais jouent également leurs rôles. Commencez par fermer vos yeux et à prendre doucement conscience des mouvements de votre respiration. Soyez attentif à la position de vos lèvres (entrouvertes/fermées, crispées/détendues), puis explorez avec la pointe de la langue toute la zone du palais et des dents. Une fois l’exploration terminée, concentrez-vous sur le mouvement d’ouverture et de fermeture de votre bouche comme si vous le réalisiez pour la première fois. Cette redécouverte de gestes habituels et inconscients aide au processus d’exploration et prévient les mauvaises habitudes.
Votre corps est aussi très important et sa posture et sa détente influencent énormément votre voix. Relaxez les muscles de votre mâchoire en baillant ou en faisant quelques grimaces et vrombissements avec vos lèvres. Votre alimentation joue aussi son rôle, et parler (ou chanter) avant/après un repas modifie votre puissance vocale. Enfin buvez de l’eau et évitez le café ou le chocolat qui ont tendance à empâter la bouche.
Petite note
Le domaine de la posture corporelle fut particulièrement étudié par le comédien Frederick Matthias Alexander (australien, 1869-1955) souffrant de maux de gorge et devenu aphone par la pratique de son métier. La médecine de l’époque impuissante, il entreprit de s’observer soigneusement et découvrit plusieurs mécanismes et mauvaises habitudes qui perturbaient sa voix (raidir son corps, creuser le dos, lever les épaules…). Après plusieurs années d’études et d’auto-observation à l’aide d’un miroir, il fonde la Technique Alexander qui vise à améliorer la posture et l’équilibre du corps. L’air contenu à l’intérieur des poumons devient plus accessible, la voix est mieux maitrisée, et les cordes vocales moins abimées. Cette méthode est reconnue et enseignée dans diverses écoles, dont notamment l’Ensatt.
LE FAMEUX EXERCICE DU CRAYON
Quiconque souhaitant améliorer son articulation a déjà fait l’expérience de cette technique plus d’une fois. Prenez un crayon ou un stylo (voir un bouchon de liège où n’importe quoi tant que cela fonctionne – mais le crayon est plus stable et fin) et calez-le entre vos dents. Usuellement, il est placé de façon horizontale au niveau des canines ou sur le devant des incisives, mais il est possible de le disposer à la verticale. Ne le bouffez pas et ne forcez pas non plus, votre mâchoire doit rester détendue. Puis récitez votre texte à plat et travaillez vos syllabes avec précision.
Faîtes-le plusieurs fois, puis enlevez-le et dites à nouveau votre texte. Votre prononciation devient plus fluide et intelligible. Mais soyez vigilant, c’est un travail qui peut entrainer des courbatures. Voici un petit texte si vous souhaitez vous entrainer tout de suite :
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Selon la légende, l’orateur Athénien Démosthène surnommé le « bègue » dû à ses problèmes d’élocution s’exerça à l’aide de cailloux dans sa bouche pour résoudre son problème. Alors si le crayon ne vous sied guère, vous pouvez toujours choper des galets à la plage.

Des galets ou des ailes de poulet.
LES VIRELANGUES DÉMONIQUES
La rencontre avec les virelangues peut se faire très jeune, avec notamment l’histoire de l’Archiduchesse qui casse les pieds de tout le monde avec ces chaussettes, alors qu’honnêtement depuis le temps, elles ont intérêt à être sèches ces foutues chaussettes.
Construits autour de phonèmes similaires, les virelangues motivent et séduisent par leur caractère ludique. Le défi consiste à répéter plusieurs fois ces phrases sans trébucher. Faîtes résonner chaque syllabe, variez le rythme et utilisez à nouveau votre crayon.
J’ai développé un petit jeu un brin gadget pour vous aider à travailler vos virelangues. De plus, vous trouverez sur la même page trois fiches d’exercices à imprimer. Toutefois, elles sont référencées directement dans l’article présent sur ce blog : « Entrainer sa diction avec des virelangues ».
S’ENREGISTRER ET TRAVAILLER LES SYLLABES
Le travail de prononciation passe aussi par une prise de conscience de sa propre voix. S’enregistrer à l’aide d’un micro ou d’un téléphone est une bonne technique pour accroitre cette perception. Installez-vous dans une pièce avec le moins de résonnances et d’interférences possibles, et prenez un texte sous la main (pour rester dans le thème, entrainez-vous donc avec la célèbre Leçon d’Orthographe du Bourgeois Gentilhomme).
Référence mise à part, travailler ses consonnes et voyelles est un exercice fondamental qui aide à saisir les différentes sonorités et liaisons de la langue française. Pour commencer simplement, vous pouvez réciter chaque consonne de l’alphabet avec des voyelles différentes. Vous obtenez alors une suite de syllabes selon cette forme :
- A, E, I, O, U
- BA, BE, BI, BO, BU
- CA, CE, CI, CO, CU
- DA, DE, DI, DO, DU
- FA, FE, FI, FO, FU
- ETC..
Puis, durant l’écriture de cet article, j’ai découvert les travaux d’un metteur en scène français, Michel Liard, qui proposait à ses élèves plusieurs exercices sur la musicalité du texte. Il comparait ce dernier à une « matière à façonner » dont il fallait sculpter les sons. Dans son ouvrage « Parole écrite, Parole scénique », il prend l’exemple d’une scène de Roberto Zucco de Koltès dont voici une synthèse du processus utilisé :
Ce travail s’effectue réplique par réplique sur l’ensemble de la scène. (Ici dans notre exemple nous n’en utiliserons qu’une). | ZUCCO : « Appelle-moi comme tu veux. Et toi ? ». |
1. Séparer dans un premier temps les consonnes et les voyelles, en remplaçant toutes les voyelles par une voyelle unique. (Ici avec la voyelle [a]) | apalmwa / kamtava / atwa |
2. Ne prononcer que les voyelles, sans les enchaîner, afin de bien les différencier. | a/e/oi/o/u/eu/e/oi (ou en écriture phonétique : a/ε/wa/ɔ/y/ø/e/wa) |
3. Ne prononcer que les voyelles, en les enchaînant, pour retrouver une certaine fluidité tout en respectant le découpage rythmique. | aeoi/oueu/eoi (ou en écriture phonétique : aεwa/ɔyø/ewa) |
Redire le texte et noter les améliorations. | Appelle-moi comme tu veux. Et toi ? |
Bon courage et gardez votre motivation intacte au cours de ces exercices ! Comme dernier conseil, faites attention à la position de votre langue au repos (la pointe toujours collée sur votre palais) et lisez des livres sur la diction et la respiration, votre prononciation s’améliorera progressivement (encore plus si vous lisez à haute voix ! 😉 )
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